Si tu vas à Cuba, emporte un livre", demandent les opposants LE MONDE | 24.07.03 | 13h26 A Cuba, la passion de la lecture peut être dangereuse. Lors de la vague de répression du mois d'avril, vingt-deux bibliothèques indépendantes, assimilées à des entreprises de subversion, ont été démantelées. Parmi les quatorze bibliothécaires bénévoles arrêtés, José Garcia Paneque a été condamné à vingt-quatre ans de prison. Ce qui n'a pas empêché la bibliothèque Liberté et Démocratie d'ouvrir ses portes au public, lundi 21 juillet, dans un domicile particulier du Reparto Avila, dans la province de Camagüey, avec trois cents livres. Malgré le coup subi, les bibliothèques "à domicile" continuent à travailler au vu et au su de tout le monde (<A HREF="http://www.bibliocuba.org/"> www.bibliocuba.org</A>). L'adresse et les noms des responsables de Liberté et Démocratie se trouvent ainsi sur le site Web de l'agence non officielle Cubanet. L'un des initiateurs du mouvement, Ramon Humberto Colas, de passage à Paris, en rappelle le point de départ. "Lors de la Foire internationale du livre, à La Havane, en 1998, Fidel Castro déclare : à Cuba, il n'y a pas de livres interdits, c'est l'argent pour les acheter qui nous manque." Berta Mexidor et Ramon Colas décident alors de prendre le Lider Maximo au mot en créant la première bibliothèque publique à domicile, à Las Tunas, sous les auspices du Père Félix Varela, l'un des maîtres à penser du XIXe siècle cubain. En peu de temps, la maison attire 1 500 personnes. M. Garcia Paneque a été le premier lecteur, avant de payer chèrement le goût de partager la lecture. TROUVER DES APPUIS EN EUROPE "Lire est un droit", rappelle Ramon Colas, qui insiste sur une des conditions requises par les animateurs du projet : "Il ne faut absolument pas cacher la bibliothèque, tout doit être visible." Les Cubains de l'exil qui visitent leur famille, des touristes et quelques ambassades - Etats-Unis, Pays-Bas, Espagne, République Tchèque, Suède -, enrichissent les étagères avec des éditions en espagnol. Les quotidiens madrilènes El Pais, El Mundo ou ABC, ainsi que El Nuevo Heraldo (Miami Herald) attirent des lecteurs soumis à la langue de bois de Granma, l'organe du parti unique. Naguère, le film cubain Fraise et chocolat montrait que les livres du Péruvien Mario Vargas Llosa, ayant rompu avec le castrisme, devaient circuler sous le manteau... Dix ans plus tard, la situation n'a pas beaucoup changé. Les écrivains exilés, dont les noms ont été longtemps bannis des ouvrages de référence comme le Dictionnaire de la littérature cubaine, ont droit aux hommages posthumes ou aux éditions à tirage réduit, comme l'admirable El Monte de l'anthropologue Lydia Cabrera (qui vient d'être traduit en français sous le titre La Forêt et les Dieux, éd. Jean-Michel Place). Le romancier Guillermo Cabrera Infante reste la bête noire des inquisiteurs. Désormais chercheur à l'université de Miami, Ramon Colas est venu en Europe pour trouver des appuis. "Si tu vas à Cuba, emporte un livre", demande-t-il aux voyageurs. Reçu au Quai d'Orsay, il a sollicité des donations de classiques français et de la formation pour les bibliothécaires indépendants. A la suite d'une directive de l'Union européenne, les autorités françaises ont réorienté leur coopération et arrêtent la formation octroyée à la police cubaine. La flamboyante diplomatie française ira-t-elle jusqu'à soutenir les embryons d'une société civile, à former des bibliothécaires plutôt que des policiers ? Paulo A. Paranagua • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.07.03